La voyageuse
En équilibre entre la réalité et la fiction,
entre un retour et un départ
parfois trop rapproché
La voyageuse nous parle tout autant
de la fragilité tenace d'une histoire qui s'écrit,
que celle d'un enfant
qui voudrait sa mère à ses côtés,
que celle d'une fleur de rester
en vie.
"Il m'arrive de penser que l'écriture
est le dernier cadeau de ma mère
Le dernier et le plus précieux
Un moyen merveilleux de m'assurer
de quoi gagner ma vie
de ne plus jamais être seule
Une façon d'être là,
de veiller sur moi
beaucoup mieux
qu'elle n'a pu le faire de son vivant"
La Voyageuse : la première intuition
Des images me viennent..Celle notamment d'un livre blanc.
Une histoire d'amour qui se dit à travers l'écriture d'un spectacle
Des mots qui s'échangent entre une mère et son enfant pour tenter de combler l'absence.
La distance.
Un livre aux pages blanches où se projettent tous les rêves,
toutes les envies, toutes les peines et les joies,
Un livre pour se relier
mars 2013
Ma collaboration avec Sophie Museur
Sophie et moi, nous nous sommes rencontrées il y a bien longtemps...
Elle avait alors 19 ans et moi 22.
Nous étions élèves au Conservatoire Royal de Mons.
Sophie était tellement différente de tous. Elle était la rage. Elle était la beauté. L'obscurité.
Elle était la vie.
Après 3 mois, j'ai fuit le Conservatoire. Je dépérissais.
Sophie l'a fait aussi, 6 mois plus tard.
Quand j'ai retrouvé des traces de Sophie, j'avais 25 ans. A l'école Internationale de Théâtre Lassaad.
Elle avait fini les cours depuis 2 ans. Elle jouait déjà dans différentes compagnies.
Elle abordait sa première mise en scène.
Nos chemins ne se sont jamais vraiment croisés.
Il a fallu ce jour de janvier 2015 pour que son nom soudain s'impose à moi comme une évidence.
En fait, c'est un souvenir qui a surgi.
Quand nous étions sur les bancs du conservatoire, Sophie m'avait raconté que sa grand mère lui avait appris la couture.
Elle lui avait appris à se faire une robe. Mais pas à la machine ! Ah ! Non, à la main !
Sophie avait passé des heures à faufiler chaque couture et puis à coudre, à découdre, à recoudre avant de pouvoir enfiler la robe de ses rêves !!!
J'avais été touchée par cet apprentissage. La profondeur de cette transmission.
Je ne connaissais pas le travail de metteur en scène de Sophie. Je n'avais que ce souvenir qui était resté associé au nom de Sophie.
La patience et la rigueur pour réaliser une oeuvre.
Sa plus grand qualité pour moi est son écoute et sa disposition naturelle à la recherche.
Tout était possible.
Elle a accepté les 120 versions du texte que je lui ai envoyée en 10 mois.
Elles les a lues, détecté ce qui était juste et ce qui empêchait la compréhension
Ce qui perdait, embrouillait les pistes
Elle m'a écouté, m'a regardé les tester sur le plateau.
Elle a tiré le fil de chacune.
Elle les a tricoté. Jusqu'à ce que ce fil soit plus solide qu'un fil d'acier
Et ce fil elle ne l'a plus lâché.
Celui de la transmission.
D'une mère à sa fille, d'une grand-mère disparue à sa petite fille
Cette lumière intérieure qui se transmet tout autant par les mots,
que par l'infime détail du quotidien.
Elle a exigé la rigueur du texte
elle a exigé que ma voix soit la mienne et non celle d'une enfant
elle a autant mis au travail la femme, la mère, l'écrivain, la comédienne
Je dois à Sophie d'avoir cru et porté le projet jusqu'au bout. Malgré mes doutes, mes ruades, mes remises en question incessantes.
J'étais la Pénélope de la nuit qui défaisait, mettait sans cesse en danger la structure
et elle la Pénélope du jour qui reposait les bases, voyait plus loin, illuminait de son regard.
Sophie Museur et La Voyageuse :
“C'est vrai, ce n'est pas facile de débarquer dans un projet où l'écriture se cherche encore et encore
et pourtant dans ce cas ci, cette longue réflexion commune autour de l'écriture
a été le plus juste et le plus passionnant
Comment mettre à nu autrement la façon dont l'écriture se nourrit et puis va au-delà ?
Ma tâche a été de laisser Michèle chercher jusqu'au bout tout en étant un appui dramaturgique
Cet accompagnement au plus près du processus d'écriture a permis d'aller très loin
dans le tissage des histoires, des souvenirs vécus, inventés, du quotidien transformé
Pour moi, ce spectacle permet aux spectateurs de vivre cette transmission qu'est l'écriture,
cette transmission complexe qui passe par nous et malgré nous
ou tout au moins avoir une approche de ce que cela peut être
C'est pourquoi la présence du papier sur scène m'est très vite apparue comme une évidence,
un support fondamental
Lui seul peut exprimer comment le récit prend forme dans notre imaginaire,
se pose en lettres sur du papier, comment un personnage soudain émerge de la page
et s'incarne sur scène
Et puis qui mieux que le papier peut faire sentir la fragilité d'un être ou d'une relation?
Qui mieux que lui peut nous faire pressentir la déchirure?”
Mise en scène : Sophie Museur
Création Lumière : Morane Asloun
Scénographie : Claire Farah
Création musicale : Quentin Dujardin
Production : Collectif Travaux Publics
Tu sais Narciso, dans la maison de retraite où je travaille,
il y a un vieux monsieur que j'appelle l'Homme jardin.
Chaque matin, il se réveille en disant la même citation:
« la tristesse est un mur entre deux jardins! »
Et puis il sort, il s'éloigne un peu
et il se met à imaginer comment serait la maison de retraite sans aucun mur
Là y aurait une immense prairie avec des pâquerettes,
là, des coquelicots, un lilas, ici, des arbres à papillons...
Et quand dans son imagination,
il a fait disparaître tous les murs
alors comme un roi,
il fait son entrée dans le jardin qu'il a créé.
La journée peut commencer !
Tu sais Narciso, je suis sûre que de ton carnet
il en aurait fait jaillir des fleurs, des milliers
Voyage au coeur de l'intime
(Journal Vers l'Avenir)
Nathalie Boutiau
Proposition intime au centre culturel d'Engis, vendredi, qui accueillait « La voyageuse », nouvelle création de Michèle Nguyen
C'est le coeur qui décide de la beauté d'une phrase. Comme c'est le coeur qui dirige l'écriture, pour autant qu'elle soit intuitive. Ce que Michèle Nguyen écrit, ce n'est pas la pleine réalité. C'est comme un reflet dans la lumière qui danse et se balance selon que soupire le temps. « La voyageuse », son dernier spectacle, proposé au centre culturel d'Engis vendredi, raconte cette essence. Dans le silence, elle dit la fragilité des mots, leur empreinte dans l'instant. « Si je pouvais, je ne raconterais que des pages blanches, des jardins enfouis sous la neige. »
« La voyageuse », c'est une mise en abîme. C'est le spectacle avant le spectacle, sa création aléatoire. Il n'y a pas, ici, de narration particulière, juste le temps qui déroule ses instants et se nourrit du monde. « Le seul moment où je voyage vraiment est celui où j'écris un nouveau spectacle, je ne sais jamais ce qui va s'écrire. ». Ainsi, tout est prétexte à dire : une rencontre, une émotion, une envie d'être...C'est le coeur qui bat, c'est la vie qu'on transmet et qui touche ou bouleverse.
La voyageuse, c'est Michèle Nguyen. C'est elle, simplement elle, entièrement femme, mère, enfant au plus nu de leur danse. Et elle danse, à pas de deux dans un temps retrouvé, dans un temps qui unit, renouvelé, recomposé. Il y a elle, un feutre noir, un carnet de pages blanches arrachées, froissées, récupérées ensuite...Il y a les souvenirs, aussi. Toute sa vie devient alors source d'écriture..Miss Capuccino, sa fille, Crapoue le journaliste, Frère Lumière et ses citations...
« Le vrai voyageur est celui qui ne connait pas la destination de son voyage ni d'où il est parti. »
« La voyageuse », c'est aussi un temps pour se poser, un souffle retenu, un répit. C'est trois nuits et deux jours avant un prochain départ, avant une séparation d'avec sa fille. Et le silence, encore, la page blanche, l'oreille suspendue à l'univers pour y ressentir l'infime et le presque rien qui tient pourtant en haleine.
Il y a quelque chose d'éternel dans ce que la comédienne dit et qui tient tout entier dans ce silence. Le temps donne ce qu'il donne. Michèle Nguyen, elle, donne de son temps et danse tel un funambule sur le fil ténu d'une écriture qui vient du plus profond de sa nuit. C'est l'émergence du moi dépossédé et rouge est la couleur de la robe dont elle se souvient, noire celle qu'elle porte avec retenue.
Les yeux baissé sur son cahier, elle écrit, soupèse chaque mot, chaque émotion et regarde vers le ciel. Une table et un tabouret suffisent. Ainsi épurée, la mise en scène souligne ce travail d'écriture, sa fragilité, comme s'il s'agissait d'une danse faite de courbes, d'hésitations, de silence aussi, jusqu'au dernier pas, jusqu'au dernier élan vers un autre ciel.
(à la 71 ème minute)